Parfois, la réponse à nos questions se trouve moins loin qu’on ne le croit – juste ici, dans notre capitale alsacienne. Dimanche dernier, à la BNU, étaient successivement conviés les Strasbourgeois Régis Quatresous puis Dominique Defert, afin de prolonger la réflexion sur la traduction permise par ce Détour des Bibliothèques idéales. Et pour cause : ces grands traducteurs se sont tous deux confrontés à ce qu’il conviendra d’appeler des « monstres sacrés » de la littérature.
Régis Quatresous est le jeune traducteur d’une monumentale biographie de Kafka, par Reiner Stach. Précis et clair face à Isabelle Baladine Howald animant la séance, il explique à un public charmé par ses traits d’humour les enjeux de son travail, dont la réalisation fût semée d’embûches. Ainsi, l’œuvre de Kafka, caractérisée notamment par l’inachèvement de nombre de textes et par sa manière subtilement humoristique de traiter du malheur, n’est à son sens pas épuisée par les nombreuses interprétations qu’elle a suscitées, et continue de poser question ; d’où l’on comprend que l’accès à sa biographie est crucial pour qui souhaite comprendre l’auteur. L’intervention de Régis Quatresous débute par la lecture qu’il nous fait du « Désir d’être un Indien », court texte de Kafka, dans une version traduite par ses soins. Elle est close par un second texte, « Le message à l’Empereur », grâce auquel on commence à comprendre l’ « ascèse stylistique » kafkaïenne décrite par le Strasbourgeois – absence de fioritures dont nous invitons le lecteur à faire lui-même l’expérience.
Dominique Defert est un grand traducteur d’œuvres littéraires de langue anglaise chaussé de rouge et adepte de science-fiction. A son actif, on compte des traductions de Dan Brown, Patricia Cornwell, Robert Ludlum, Philip K.Dick… A l’animateur de la séance Pascal Coquis, lui demandant comment l’on traduit un monstre sacré de la littérature comme Dan Brown, il répond pragmatiquement : « dans un bunker ». Avec un franc-parler à toute épreuve, il alterne donc parmi les rires du public entre les anecdotes pratiques de production de best-sellers, et des considérations sur la réalité de son métier : traduire, ce n’est pas se faire le simple vecteur de l’histoire d’un autre, mais « conter à nouveau », en cherchant, au-delà de la correspondance des mots et du sens, une manière de produire la même émotion dans la langue d’arrivée. La traduction est donc bien une œuvre littéraire à part entière.
Un article de Chloé Ackermann